Par Annick Couval
Publié le 13 juillet 2011 - Mis à jour le 24 novembre 2011
Très tôt désignée comme étant la ville qui devait accueillir le siège du Conseil de l’Europe, Strasbourg a œuvré de manière continue pour offrir à la première organisation politique européenne un édifice provisoire (la Maison de l’Europe) puis définitif (le Palais de l’Europe), qui furent le point de départ de la création d’un quartier européen au sein de la capitale alsacienne.
L’importance accordée au Palais de l’Europe, à son environnement et à ses capacités a été d’autant plus grande qu’il accueillait également les parlementaires des Communautés en sessions plénières. Il devenait ainsi un élément de la bataille du siège, qui a opposé Strasbourg à Luxembourg et Bruxelles.
Depuis la construction du bâtiment Louise Weiss, qui abrite les sessions plénières du Parlement européen, le Palais de l’Europe est exclusivement occupé par les organes du Conseil de l’Europe qui s’est par ailleurs élargi. L’édifice fonctionnaliste d’Henry Bernard n’en reste pas moins un symbole de la construction européenne et de la vocation européenne de Strasbourg.
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R. Schuman signe le traité de Londres
S.l. : s.n., s.d.
Coll. © Conseil de l'Europe
Image interactive (voir aide)
Le siège du Conseil de l’Europe est fixé par l’article 11 du traité de Londres créant le Conseil de l’Europe. C’est un fait unique dans l’histoire de la construction européenne : aucun autre organisme européen, ni l’OECE, ni l’Union occidentale créés en 1948, ni, par la suite, les Communautés, n’ont leur siège fixé par le traité fondateur.
Le choix de Strasbourg, proposé par Ernest Bevin, secrétaire aux affaires étrangères britannique, est motivé par la portée symbolique que revêt cette décision. En accueillant le siège du Conseil de l’Europe, Strasbourg devient le lieu de la réconciliation franco-allemande après en avoir été l’un des enjeux pendant des siècles.
1ère session de l’Assemblée consultative
S.l. : s.n., s.d.
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 688489)
Faute de pouvoir délibérer dans un bâtiment spécifique dès août 1949, l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe tient sa première séance dans l’aula de l’université de Strasbourg aménagée en hémicycle pour l’occasion. La foule strasbourgeoise accueille dans l’euphorie les personnalités politiques qui ont porté le projet : Winston Churchill, Robert Schuman, le Comte Sforza, Paul-Henry Spaak, premier président de cette assemblée et le président de la Chambre des députés française, Édouard Herriot.
Voir la vidéo sur l'ouverture de la première séance de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe sur le site de l'INA.
Pour avoir des compléments d’informations relatives aux conditions de l’accueil du Conseil de l’Europe à Strasbourg en 1949, consulter les pages réalisées par les archives de la Ville et de la Communauté Urbaine de Strasbourg.
Le 2 septembre 1949, un accord est conclu entre le Gouvernement français et le Conseil de l’Europe définissant, selon le traité signé en mai 1949, les privilèges et immunités dont jouit le Conseil à son siège.
Article 1. Sauf dispositions contraires du présent accord ou de l'Accord général sur les privilèges et immunités, les lois françaises sont applicables à l'intérieur des locaux et bâtiments du siège du Conseil de l'Europe.
Article 2. Le Conseil de l'Europe a le droit d'édicter des règlements destinés à faciliter, à l'intérieur de ses bâtiments et locaux, le plein exercice de ses attributions.
Article 3. Les locaux et bâtiments du Conseil sont inviolables. Les agents ou fonctionnaires français ne peuvent pénétrer dans lesdits bâtiments et locaux pour y exercer leurs fonctions qu'avec le consentement du Secrétaire Général et dans les conditions acceptées par celui-ci.
Sans qu'il puisse être porté atteinte aux dispositions de l'Accord général sur les privilèges et immunités, le Conseil veille à ce que les bâtiments et locaux du Conseil ne deviennent pas le refuge de personnes qui tenteraient d'échapper à une arrestation demandée en vertu d'un mandat régulier des autorités françaises ou qui chercheraient à se dérober à l'exécution d'un acte de procédure (...).
2 septembre 1949. Traités européens. Tome I (1-84, 1949-1974).
Strasbourg : Conseil de l'Europe, 1998, p. 75.
Télécharger le texte sur le site de l'European Navigator.
Selon cet accord, signé par le Secrétaire général de l'Europe, J.-C. Paris, et R. Schuman, alors ministre français des Affaires Étrangères, le Conseil de l’Europe édicte le règlement relatif au fonctionnement de ses activités au sein du siège et contrôle seul l’accès aux immeubles et locaux mis à disposition provisoirement par le gouvernement français. Ces espaces sont cependant soumis à la loi française.
Première maison de l’Europe
S.l. : s.n., s.d.
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 304481)
De 1950 à 1977, la maison de l’Europe accueille le Conseil de l’Europe sur un terrain de deux hectares mis à disposition de l’institution européenne, moyennant un droit de reconnaissance symbolique.
Sa situation (sur la place Le Nôtre, à proximité du Parc de l’Orangerie, au nord-est de Strasbourg) remporte les suffrages face à deux autres emplacements dans la ville proposés pour accueillir l’institution : les halls du Wacken (à l’ouest de la ville) et le domaine de Pourtalès à la Robertsau (plus au nord).
Pour localiser plus précisément cet emplacement, voir le plan interactif sur le site du CIIE.
Ancien hémicycle du Conseil de l'Europe
Assemblée consultative, 04/05/1965
Coll. © Conseil de l'Europe
À partir de 1952, l’hémicycle du Conseil de l’Europe accueille l’Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (la CECA).
Deux éléments ont motivé le choix du partage de l’hémicycle entre les deux assemblées européennes : le fait qu’un certain nombre de députés siégeaient dans les deux assemblées et les avantages techniques de cet édifice bien doté en équipement de traduction simultanée.
Dès la signature du statut instituant le Conseil de l’Europe, les débats sur le choix de Strasbourg comme siège de cette institution avaient porté sur la question des transports et de l’accessibilité de la capitale alsacienne. Les ministres des affaires étrangères danois et suédois avaient exprimé leurs appréhensions devant les conséquences pratiques de ce choix : ne se situant pas au centre de gravité géographique de l’espace européen et disposant d’une moins bonne desserte que Paris, ces ministres s’étaient exprimés en faveur des capitales de plus petits pays européens mais mieux situés ou en faveur de Paris. Strasbourg l’a finalement emporté grâce à la portée symbolique que revêtait ce choix et la municipalité s’est efforcée de répondre aux critiques énoncées dès 1949.
Projet d'aérotrain
Auteur inconnu, v. 1970
© Archives de Strasbourg (331 W 168)
En 1970, un projet d’aérotrain entre Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg et Bâle et Zurich donne lieu à une étude pour la construction d’une île artificielle devant recevoir entre autre cette ligne d’aéroTrain.
La Maison de l’Europe construite en 1950 n’avait qu’un caractère provisoire. Très rapidement cet édifice s’avère cependant inadapté pour l’accueil des deux organisations européennes : Conseil de l’Europe qui s’élargit à de nouveaux membres (18 en 1970) et l’Assemblée des Communautés européennes.
Ancien et nouveau sièges
S.l. : s.n., s.d.
Coll. © Conseil de l'Europe
L’architecte Henry Bernard, 1er grand prix de Rome et membre de l'Institut de France (Académie des beaux-arts) en 1968, se voit confier en janvier 1971 un programme consistant à réaliser un bâtiment suffisamment vaste pour répondre à deux objectifs : abriter les organes politiques et administratifs du Conseil de l’Europe, et permettre la tenue à Strasbourg des sessions du Parlement européen.
La municipalité de Strasbourg met un terrain de 4ha à disposition des organisations européennes. Dans le discours qu’il prononce à l’occasion de l’inauguration du Palais de l’Europe en 1977, le maire de Strasbourg, Pierre Pflimlin, rappelle les efforts réalisés par la municipalité pour la construction de cet édifice et pour la promotion de la dimension européenne de Strasbourg.
Le site initial du siège du Conseil de l’Europe est conservé : le nouveau Palais de l’Europe s’adosse à la Maison de l’Europe jusqu’à ce que cette dernière soit démolie en janvier 1977, une fois les travaux du Palais de l’Europe achevés et le nouvel édifice inauguré. Le bâtiment provisoire cède la place à un parc d’entrée.
Date de diffusion : 01/01/1977 - Durée : 48s - Voir page correspondante sur le site INA
Démolition de la Maison de l'Europe et construction du Palais de l'Europe.
Le site initial du siège du Conseil de l’Europe est conservé : le nouveau Palais de l’Europe s’adosse à la Maison de l’Europe jusqu’à ce que cette dernière soit démolie en janvier 1977, une fois les travaux du Palais de l’Europe achevés et le nouvel édifice inauguré. Le bâtiment provisoire cède la place à un parc d’entrée.
Les premières réflexions menées par l’architecte Henry Bernard sur la forme que devait prendre le nouvel édifice ont donné naissance à un premier projet qui s’étalait largement au sol. La forme du Palais de l’Europe consistait en un double carré composé sur l’axe du Parc de l’Orangerie.
Un parvis d’accès surélevé franchissait l’avenue de l’Europe pour relier le palais au parc. Une salle des pas perdus séparait deux compositions : l’une centrée sur un hémicycle sphérique, l’autre sur un comité des ministres pyramidal. Un long volume arrière, à l’usage des bureaux, surplombait les salles de réunions alignées au sol (Henry Bernard, "Le Palais de l'Europe", Saisons d'Alsace, n° 60, déc. 1976, p. 84-88).
Le projet initial, qui visait à construire un édifice étalé, fut abandonné pour des raisons de délais puisqu’il nécessitait d’organiser les travaux en deux tranches. Le second projet, réalisable en une seule tranche de travaux puisqu'implanté sur le terrain libre offert par Ville de Strasbourg, prend le parti d’un édifice plus concentré, d’un volume plus élevé.
Le concepteur de la Maison de la Radio à Paris (1952-1963) abandonne ici les lignes courbes pour privilégier les lignes droites en lien avec une démarche fonctionnaliste qui veut que la forme d’un édifice soit déterminée par sa fonction.
Le quartier européen
Photo Patrick Bantzhaff , s.d.
Document CRDP d'Alsace
L’accès du parc est situé à la pointe Est du terrain et sa pente est progressive jusqu’à l’entrée d’honneur de l’édifice, surélevée de 6 m par rapport à l’avenue de l’Europe. Le voisinage immédiat de la nappe phréatique a interdit une construction souterraine, et a obligé à renoncer à un parking enterré.
Destiné à abriter 2000 à 2500 personnes, le Palais de l’Europe est constitué d’un volume de 9 niveaux (38 m de haut) sur un plan carré de 110 m de côté, et comporte un vaste espace central au cœur duquel est situé l’hémicycle. L’édifice est composé de 1500 bureaux, 12 salles de commissions, deux salles politiques (hémicycle pour les parlementaires de 580 places et une salle du comité des ministres). Les salles de réfectoire sont situées à l'extérieure du volume.
La dimension robuste de l’édifice émane du principe de l’ossature du bâtiment, porté par des voiles de béton armé sur une trame alternée de 16 m et de 6 m. Le rythme des façades est déterminé par celui des grandes salles (de 16 mètres de large) du niveau du Comité des Ministres. Cette ossature générale enchâsse les grandes salles saillantes qui s’éclairent toutes sur l’extérieur.
Dans le souci d’intégrer l’édifice à la tonalité strasbourgeoise, l’architecte a traité en béton architectonique de pierre reconstituée avec agrégats de grès des Vosges les éléments porteurs laissés apparents. Ils sont complétés par des glaces réfléchissantes et des bardages de tôle d’aluminium pré-oxydé.
La musculature de la plastique extérieure du bâtiment vise à affirmer que l’union fait la force.
De nombreuses photographies du bâtiment sont consultables dans la Banque d'images du Conseil de l'Europe (Dans le menu de gauche, sélectionner Illustrations, Bâtiments puis Palais de l'Europe).
La plastique intérieure est dominée par la souplesse : souplesse des arcs porteurs de bois lamellé-collé qui se succèdent du parvis à l’hémicycle, souplesse des revêtements qui doivent amortir les bruits dans un espace où l’ambiance est feutrée pour laisser une grande place à la parole et donc aussi au silence.
Après avoir franchi l’entrée principale, le visiteur accède à un grand hall d’entrée autour duquel sont installées un certain nombre de services : bureau d’accueil, d’information, postes, banque, stand de journaux, tabac, bureau philatélique et de voyages. Une partie du hall est réservé à des expositions. C’est dans ce hall que s’opère la séparation des Politiques et du Public dont les secteurs respectifs se situent à niveaux différents. L’architecte a mis en évidence l’indépendance des deux fonctions (ministérielle et parlementaire) en les implantant à deux niveaux différents reliés entre eux par un escalier d’honneur.
L’hémicycle de 410 jusqu’à 500 places se situe à un premier palier de l’escalier d’honneur et constitue le noyau central de cette zone dédiée à l’activité parlementaire. Il dispose de tous ses prolongements, soit de plein pied (présidences, greffe, secrétariats, salon de bar des parlementaires, biblio, hall de distribution des docs…), soit au niveau inférieur pour services annexes tels que salle de conférence de presse (4 studios de radio, 3 studios de TV), commodités diverses (restaurant), soit au niveau supérieur : tribunes de l’hémicycle (diplomates, presse, public, au total 40 places, pool dactylographique et toutes cabines d’interprétation).
La salle d’audiences est dominée par les courbes : courbes que dessine la disposition des places en fer à cheval et courbes formées par les grands arcs apparents qui portent la toiture et convergent vers le président de séance. Ces lignes contribuent à créer une ambiance intérieure faite de souplesse et de sérénité, qui favorise les débats et qui contraste avec la robustesse et la musculature de l’extérieur.
L’architecte n’a pas retenu le tracé d’un hémicycle parfait parce qu’ici la fonction est différente et que l’orateur parle généralement de sa place sans monter à la tribune ; il a tenté une synthèse entre l’hémicycle traditionnel et les solutions parlementaires anglo-saxonnes qui pratiquent le vis-à vis.
La salle du Comité des Ministres est située à l’étage supérieur, en haut de l’escalier. Elle est nstallée à l’angle sud de l’édifice et en encorbellement dans une rotonde qui domine le parc de l’Orangerie. Portée par huit colonnes, elle comporte une grande table en couronne et peut recevoir jusqu’à 120 personnes.
Au même niveau sont installées une dizaine de salles de réunions, largement vitrées sur l’extérieur (8 salles de 60 places et 3 salles de 100 places), desservies par une galerie. Ces salles, à l’image de celle du Comité des Ministres, montent de fond sur deux niveaux, et c’est au niveau supérieur que sont concentrées les cabines de traduction simultanée qui apparaissent en mezzanine des grands volumes destinés aux Commissions des Assemblées et aux Comités d’experts.
Le site du Conseil de l’Europe propose une visite virtuelle de l’intérieur du Conseil de l’Europe et nous fait parcourir les différents étages de l’édifice.
Les choix architecturaux d’Henry Bernard sont diversement appréciés : certains voient dans le Palais de l’Europe une forteresse et regrettent le caractère massif, fermé et massif de l’édifice. D’autres louent l’effort de synthèse réalisé par l’architecte, qui, bien que fonctionnaliste, n’a pas négligé les symboles. En faisant la synthèse de deux courants majeurs de l’histoire plastique européenne, l'architecte précise que le courant classique, d’origine méditerranéenne, axé sur la perfection hiératique, et le courant gothique et baroque, d’origine continentale, axé sur la dynamique de la vie, cet édifice se veut être la traduction plastique de l’intense effort de convergence vers l’unité de nations diverses et de cultures originales. Il doit résumer l’Histoire et préfigurer l’Avenir.
Date de diffusion : 28/01/1977 - Durée : 03min04s - Voir page correspondante sur le site INA
Discours de Valery Giscard D'Estaing lors de l'inauguration du nouveau siège du Conseil de l'Europe.
Dès l’inauguration du Palais de l’Europe se pose la question de son extension. L’enjeu de l’extension dépasse le Conseil de l’Europe : il concerne la question de la position européenne de Strasbourg dans la vive concurrence qui l’oppose à Bruxelles et Luxembourg pour l’obtention du siège du Parlement.
Note à l’attention de M. Adam
E. Maennel, 29 juin 1979
© Archives de Strasbourg (331 W 169)
Image interactive (voir aide)
Le 7 octobre 1977, E. Maennel, ingénieur en chef dans les services de l’Urbanisme et de la construction évoque dans une note la nécessité pour Strasbourg de constituer une zone réservée à des institutions européennes sur le territoire de la ville à moyen et long terme et de trouver des possibilités d’accueil immédiates pour attirer le Parlement dont il a été décidé qu’il serait élu au Suffrage universel. Pour répondre aux critiques relatives au nombre insuffisant de bureaux pour les parlementaires et à l’absence d’hôtels modernes, la municipalité cherche à disposer d’un certain nombre de terrains dont elle n’est pas propriétaire à proximité du Conseil de l’Europe et entreprend des négociations avec des associations sportives et l’armée qui ont des infrastructures sur ces terrains.
Suite aux élargissements des années 1970 et à l’augmentation du nombre de députés liés à ces élargissements, le Parlement investit dans de nouveaux locaux : les bâtiments Winston Churchill et Salvador de Madariaga conçus par l’architecte F. Sauer, réalisés à gauche de l’entrée principale du Conseil de l’Europe.