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L’économie alsacienne
à la veille de la guerre

Par Mireille Biret et Monique Klipfel

Publié le 13 juillet 2011

L’entrée dans le processus d’industrialisation Revenir au début du texte

Filature Hartmann, à Munster

Filature Hartmann, à Munster
Ill. Jean Mieg, 1822
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 732311)

La comparaison de ces deux lithographies, représentant la filature de Jacques Hartmann à Munster, permet de mesurer la rapidité des changements qui ont affecté l’économie alsacienne durant la période.

En une vingtaine d’années, en effet, l'établissement s’est nettement agrandi. L’ensemble des manufactures Hartmann occupe, vers 1845, plus de 3 000 personnes, soit 90% de la main d’œuvre textile du val de Munster.

Filature Hartmann, à Munster

Filature Hartmann, à Munster
Étiquette , v. 1850 ?
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 650575)

Dans la première moitié du XIXe siècle, l’essor du textile, notamment l’indiennerie, permet à l’Alsace d’accélérer son industrialisation. Les besoins en machines textiles et ceux en matériels ferroviaires (la ligne Mulhouse-Thann est inaugurée dès 1839) favorisent le développement des industries d’équipement. Le textile a aussi généré une industrie chimique et a permis à Mulhouse et à Thann de devenir deux capitales de la chimie rhénane.

Avant 1870, la réussite industrielle concerne davantage le Haut-Rhin que le Bas-Rhin, où la grande entreprise reste ponctuelle. À la veille de la guerre de 1870, l’Alsace compte plus d’ouvriers que de paysans et elle fournit aux autres régions françaises une partie de leurs machines et de leurs matériels ferroviaires. À titre d'exemple, Koechlin dans le Haut-Rhin et les Ateliers de construction de Graffenstaden dans le Bas-Rhin réalisent, en 1870, un tiers de la production de locomotives en France.

Les progrès des moyens de communicationRevenir au début du texte

La voie ferrée de Paris à Strasbourg

L’achèvement de la section de Lunéville à Sarrebourg permettra l’exploitation de la ligne de bout en bout à partir du 12 août 1852, achèvement qui est alors un événement d’importance internationale. Le chef de l’État entend souligner cette importance en présidant les cérémonies d’inauguration de la ligne qui s’échelonnent du 18 au 23 juillet. Suivi de trois ministres, de hauts fonctionnaires, Louis Napoléon, en tenue de général de division, débarque le 18 juillet dans la gare provisoire de Strasbourg, où cinq trains spéciaux sont arrivés de Paris, la veille. Le Prince-Président est accueilli par les personnalités locales, régionales, mais aussi un ministre prussien, un général badois, un général autrichien… Sur les mâts ornés d’oriflammes ont été fixées les armoiries des pays où circule déjà le chemin de fer. À travers les festivités qui se déroulent pendant trois jours, Strasbourg joue déjà le rôle de capitale de l’Europe dans un climat d’entente internationale…

Le service des trains de voyageurs au 2 septembre 1852 comporte, au départ de Strasbourg, 4 omnibus respectivement pour Sarrebourg (en 3 h 05), Nancy (en 4 h 40), pour Châlons-sur-Marne (en 9 h 50) et Paris (en 13 h), un direct de jour pour Paris (en 11 h 35) avec 15 arrêts, une vitesse horaire de 43,250 km…

Strasbourg jouera rapidement un rôle éminent dans l’intensification des échanges commerciaux et dans la distribution du trafic.

A. Lefèvre. In CRDP d'Alsace, Dossier maître, n°13, 1985-1886

L’achèvement de la ligne ferroviaire Strasbourg-Paris en 1852, la mise en service du canal de la Marne au Rhin en 1853, l’installation du télégraphe électrique en 1854 et l’ouverture de la ligne ferroviaire Mulhouse-Paris en 1858 permettent aux industriels alsaciens de trouver de nouveaux débouchés extra-régionaux. Favorisée par sa situation géographique, les progrès en matière de transports concourent par ailleurs au développement des ventes dans toute l’Europe continentale.

Le traité de libre-échange franco-anglais de 1860Revenir au début du texte

Le traité de commerce introduisant le libre-échange en 1860 divise le patronat alsacien, mais la fraction la plus puissante, celle des indiennes menée par Jean Dollfus, se prononce en faveur de ce traité. Il conduira effectivement à des baisses de prix des consommations intermédiaires et un élargissement des parts de marché à l’étranger.

Monsieur Jean Dollfus, chef de l’une des plus considérables maisons d’Alsace, qui réunit les trois branches de l’industrie du coton, filature, tissage et impression, a abordé le problème de la levée des prohibitions, non seulement avec une connaissance approfondie de la matière, mais encore avec une grande indépendance…

Le retrait des prohibitions inaugurera une ère nouvelle, où l’action féconde du commerce fera pénétrer au loin les produits de nos fabriques en même temps que nos goûts et notre influence. Il sera une œuvre de progrès, de paix, de bons procédés vis à vis des nations étrangères et couronnera dignement les mesures empreintes d’un véritable libéralisme économique que le gouvernement a prises depuis quelques années…

Rapport de M. Jules Sengenwald, président de la chambre de commerce de Strasbourg,
sur la levée des prohibitions (Strasbourg, 1857).
In Documents de l’Histoire de l’Alsace. Toulouse : Édouard Privat Éditeur, 1972, p. 12 et p. 18-19

Le point de vue de Jean Dollfus n’est pas partagé par l’ensemble du patronat alsacien. Voici ce qu'il fait constater à ses opposants...

Depuis un mois, la protection doit avoir, selon le système de nos adversaires, repris son libre fonctionnement et cependant l’écart des prix suisses et français reste le même…

L’industriel alsacien du 27 mai et du 16 juin 1870.
In Documents de l’Histoire de l’Alsace. Toulouse : Édouard Privat Éditeur, 1972

Entre 1852 et 1870, la croissance économique a conduit à une augmentation du niveau de vie moyen des Alsaciens. En la coupant de son marché français et en l’obligeant à s’adapter à un marché allemand différent, l’annexion de 1871 va entraîner de profondes mutations économiques.